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La FDSEA se penche sur le stockage de l’eau et l’irrigation

Dominique Clyti, président des Irrigants de l’Aube et Marie-Paule Poillion, conseillère à la Chambre d’agriculture, ont présenté l’irrigation des cultures aux moments stratégiques.
Dominique Clyti, président des Irrigants de l’Aube et Marie-Paule Poillion, conseillère à la Chambre d’agriculture, ont présenté l’irrigation des cultures aux moments stratégiques.

Lors de l’assemblée générale de la FDSEA, trois intervenants ont évoqué la préservation et la gestion de l’eau en agriculture, avec un focus sur l’irrigation, ainsi qu’un projet de stockage d’eau en Haute-Marne.

En choisissant le sujet de l’eau à son assemblée générale, le président de la FDSEA Sébastien Riottot a souhaité « sortir des idées reçues » et « montrer que nous sommes une agriculture qui avance, qui veut innover et se développer ». C’est ce qu’a illustré Jean-Paul Kihm, agriculteur à Rochefort la Côte. Il y a une dizaine d’années des quantités de produits phytos au-delà des seuils réglementaires sont mesurées sur l’aire de captage de Roôcourt la Côte, où sont situées des parcelles de l’agriculteur. Avec d’autres exploitants, ils créent alors le GIEE (Groupement d’intérêt écologique et économique) Agro Eco Précis, dont l’une des thématique est la préservation de la qualité de l’eau. « On a fait beaucoup d’essais pour trouver des solutions, mais malheureusement ils n’étaient pas probants » explique Jean-Paul Kihm qui décide de convertir en bio la totalité de sa ferme en 2019.

Un manque d’eau

« Avec les printemps secs que l’on connaît, cela devient compliqué de faire pousser les cultures de printemps, mais aussi de les faire lever. Cette année on a eu des champs complets qui n’ont pas levé parce qu’on a eu deux mois sans pluie » poursuit Jean-Paul Kihm. Les études climatiques montrent que les situations extrêmes d’aujourd’hui devraient devenir la norme demain. D’ici l’année 2100 la température moyenne va augmenter de 3 °C en Bourgogne Franche Comté. « Les valeurs absolues de températures extrêmes vont aller de l’avant, on pourra se retrouver avec une période à +10 °C au mois de juin. On sait ce que ça donne sur du blé » prévient Jean-Paul Kihm. La pluviométrie restera stable en quantité, mais avec une répartition différente, avec des excédents en hiver et un déficit au printemps et en été.

D’ici 80 ans, cette évolution climatique va fortement impacter la production agricole. En Bourgogne Franche Comté, cela se traduira par -400 000 t de graines et -1,5 M t de matières sèches. En consommation humaine, cela représente une perte de 1,5 Md de baguettes de pain et 40 000 t de viande de bœuf, soit 200 000 assiettes en moins. La région Bourgogne Franche Comté perdra de quoi satisfaire les besoins alimentaires annuels de 1,1 M de personnes, soit près de 40 % de sa population.

Un projet de stockage collectif

« Nous devons travailler dès maintenant sur la question de l’eau » alerte Jean-Paul Kihm qui cite plusieurs leviers : diversification des assolements avec des variétés adaptées, recherche génétique, biostimulants, limitation du travail du sol, couverts végétaux… mais aussi le stockage de l’eau. Une réflexion est en cours avec des agriculteurs, la Chambre d’agriculture et les services de l’État, en partenariat avec EDF, pour stocker de l’eau à Soncourt sur Marne. « On pourrait stocker l’eau quand elle est excédentaire pour l’utiliser en cas de besoin. L’idée est de faire une vitrine, un démonstrateur, une zone d’expérimentation pour tester des solutions et acquérir des connaissances pour les dupliquer » explique Jean-Paul Kihm qui précise que le projet n’en est qu’à ses balbutiements.
Sébastien Riottot salue un projet « structuré, réfléchi et collégial, qui va dans le bon sens. L’idée n’est pas d’irriguer toute la Haut-Marne, on parle de quelques dizaines de millimètres par an au bon moment, c’est ce qui nous manque souvent pour faire une bonne récolte ». Pour Thierry Lahaye, secrétaire général de la FDSEA, « il n’y a pas que l’irrigation qui résoudra la problématique de l’eau, mais il faut au moins s’y intéresser pour savoir si c’est une réponse pertinente. L’irrigation fait partie d’un panel de solutions qui permettront de maintenir la production agricole ».

L’irrigation, l’une des solutions

Marie Paule Poillion, conseillère à la Chambre d’agriculture Aube/Haute-Marne, a abordé le cycle de l’eau en rappelant que l’évapotranspiration représente les deux tiers de l’eau qui retombent sur les continents : « il n’y a pas que les forêts qui transpirent de l’eau, tous les végétaux le font », indique la conseillère. Le stockage de carbone est proportionnel à l’eau transpirée par les plantes. Ainsi pour fabriquer 1 gramme de carbone, la plupart des végétaux (espèces cultivées, arbres…) transpirent 450 g d’eau. D’autres sont plus économes comme les céréales d’origine tropicale (maïs, sorgho) qui demandent 250 g d’eau, voire seulement 20 g pour les plantes grasses.
D’après les relevés de la station météorologique de Troyes-Barberey, l’évapotranspiration a augmenté de 25 % en 48 ans à cause de la hausse des températures. Conclusion : les plantes ont davantage de besoins en eau. L’irrigation peut être une solution, mais doit être utilisée uniquement pendant la phase « sensible » de la culture, par exemple uniquement entre le stade 2 nœuds et le 20 juin pour le blé.
« Quand on est dans des sols superficiels il faut arroser plus souvent, mais avec des petites quantités car le sol ne peut pas stocker beaucoup d’eau », précise Marie-Paule Poillion. Deuxième condition pour irriguer : avoir un déficit hydrique, que l’on peut déterminer par un bilan hydrique ou par des mesures de suivi via des outils d’aide à la décision. 10 mm d’eau apportés par l’irrigation augmentent le rendement de 10 à 50 q en maïs, 10 q en soja et 1,5 à 3 q en céréales à paille.

Un système maitrisé

Dominique Clyti, président de l’ADPIA (Association des agriculteurs irrigants de l’Aube), a présenté les différents systèmes d’irrigation, le fonctionnement d’un réseau, la conduite de l’irrigation, ainsi que la partie réglementaire. En 2019 l’irrigation dans l’Aube représentait 24 M de m³ (contre 0,14 M m³ en Haute-Marne et 102 M m³ en Alsace) et provient essentiellement de forages et de prélèvements en rivières (Aube, Seine). 90 % de l’irrigation auboise est utilisée pour des légumes (essentiellement des pommes de terres, des oignons, des carottes et des choux à choucroutes) et 10 % pour des betteraves, du maïs et de l’orge de printemps. Dominique Clyti combat les idées reçues, en particulier sur les volumes d’eau utilisés : « On ne gaspille pas d’eau, on met des millimètres et on sait exactement combien. L’objectif est de maitriser le taux de protéines plutôt que le rendement car c’est la qualité qui permet de vendre nos productions ».

Mais comme le fait remarquer Thierry Lahaye, « les systèmes d’irrigation doivent encore s’adapter à la spécificité de la Haute-Marne » avec « une gestion de l’eau qui sera particulière par rapport à notre territoire ». Sébastien Riottot souligne qu’un système d’irrigation coûte très cher, « on ne pourra pas le faire tout seul, mais avec des voisins ou des collectivités, c’est un sujet qui est collectif ». Le président de la FDSEA considère que le stockage de l’eau « peut permettre de sauver une production et mettre en place des filières vertueuses » et que « cela peut être un supplément pour les communes en cas de pénurie d’eau ».